ARTICLE / CRITIQUE LITTERAIRE
UNE NOUVELLE ETUDE BACLEE ?
CRITIQUE LITTERAIRE
Du livre-étude intitulé « Histoire et devenir des Chemins de Fer de Provence »
Rédacteur : Bernard Chaouat
Les
livres qui paraissent sur les Chemins de fer de Provence ne sont pas
légion ; les études encore moins. Aussi mon
intérêt a été vif lorsque le SYMA a
présenté le 31 mai une « étude sur la
ligne Nice-Digne »1. Etudions, donc !
PRESENTATIONS
Quelle ne fut pas ma surprise de voir que cette
étude est en fait un livre, tout en couleurs et en format 16x21,
ma foi joliment présenté. Mon premier réflexe a
été d’aller voir en 4ème de couverture pour
chercher le prix… Avant de réaliser que, s’agissant
d’une étude subventionnée par la Région, le
« livre » n’a sans doute d’autre
destin que d’être distribué gratuitement. Aucune
mention du tirage, d’ailleurs. Il a été
achevé d’imprimer le 5 janvier 2006 et est
édité par les « éditions
ART » à la Courneuve (région parisienne).
L’objectif de l’ouvrage est de le rendre « accessible aux initiés comme aux simples curieux ». Il ne s’agit donc pas d’une étude techniquement pointue.
Le résumé de fin de livre donne le
ton : Un coup de brosse pour la Région – mais
c’est normal, c’est le commanditaire et un hommage
appuyé au caractère indispensable de ce train. Dès
la lecture de ces trois paragraphes, on ne peut s’empêcher
de s’interroger sur la pertinence de certaines tournures de
phrases, comme celle-ci :
« Heureusement, la
chronique de la mort annoncée du légendaire
« train des pignes » n’est pas encore
arrivée à son terme ». Il m’a
fallu relire la phrase trois fois pour comprendre dans quel sens il
fallait prendre le message et ce qui était heureux, finalement.
Ou celle-ci :
« Il est permis
d’espérer qu’avec la Région comme principal
acteur ce petit train […] entre vraiment dans le XXIème
siècle. Une telle évolution est possible, tout en
gardant ce qui fait sa spécificité. » A
force de vouloir tourner autour du mot
« modernisation » sans vouloir
l’écrire, la phrase perd un peu de son sens.
Mais je chipote, je chipote. Entrons dans le vif du sujet.
Le livre est divisé en quatre parties :
Une approche historique, avec les « Impressions de
voyage ». Une approche historique ; une approche
scientifique ; un chapitre concernant « les amoureux du
train des pignes » ; enfin, quelques pistes de
réflexion pour l’avenir.
IMPRESSIONS DE VOYAGES
Puget-Théniers, Alpes-Maritimes... et l'ancien pont routier sur le Var
Puget-Théniers se retrouve au carrefour des vallées de
l’Estéron (!) et de la Roudoule, et à la
frontière des Hautes Alpes… |
Bien qu’étant destiné
également aux curieux, cette partie est de loin la moins
intéressante. Dès les premières lignes, on
comprend qu’il s’agit d’une première
découverte des Chemins de fer de Provence. On peut
s’étonner que la rédaction ait été
confiée à un auteur ne connaissant pas la ligne, mais
l’idée est, en soit, intéressante. Un regard neuf
est toujours intéressant. Malheureusement, ces notes sont
truffées de redites, de passages sans aucun intérêt
et d’erreurs grossières.
Les erreurs : En gare de Nice, deux voies. Il y
en a en fait trois. Le Pont Charles Albert est annoncé avant La
Manda, alors qu’il est, en fait, 9 kilomètres plus loin.
La Vésubie n’est plus une vallée, mais un « mont pelé ».
La halte de Peyresq est annoncée comme
« fermée », ce qui est faux.
Puget-Théniers se retrouve au carrefour des vallées de
l’Estéron (!) et de la Roudoule, et à la
frontière des Hautes Alpes… Le pont de la Trinité
(situé à la sortie de Puget-Théniers) se retrouve
du côté d’Annot, ce qui recule sensiblement de
près de 20 kilomètres l’ancienne frontière
entre le Comté de Nice et la France. Le pauvre lecteur a
d’ailleurs bien du mal à se retrouver, dans ce voyage en
zig-zag.
Les références nombreuses aux danois (voyageant dans le
train), aux chansons et à divers romans n’ont qu’un
intérêt très limité dans une étude de
ce genre.
HISTORIQUE
Le Siècle du Train des Pignes, de José Banaudo
Un bon compromis entre la version longue du livre de
José Banaudo, « le Siècle du Train des Pignes », et la version courte
disponible sur le site jumeau « train des pignes » de la CCCP |
Si les erreurs sont nombreuses tout
au long du livre, elles ont épargnés semble-t-il la
partie « historique ». Cette version
s’avère un bon compromis entre la version longue du livre
de José Banaudo, « le Siècle du Train des
Pignes », et la version courte disponible sur le site jumeau
« train des pignes » de la CCCP.
Ici comme ailleurs, on peut toutefois regretter le côté
bâclé pour une étude, l’auteur n’ayant
même pas eu le courage de passer un coup de correcteur
orthographique (Antibe, déléguante...).
APPROCHE SCIENTIFIQUE
Le train à la Manda : Les horaires semblent moins compliqués en vrai !
Que m’explique celui qui comprend la phrase suivante (p. 54) :
« Il
y a une rame et six autorails qui parcourent le trajet quotidiennement,
l’autorail qui part de Digne à 7 heures du matin et celui parti de Nice
à 17 heures et qui arrive en soirée à 20h13 à Digne. » |
Aïe ! On craint le pire… avec raison.
Le chapitre sur « l’état
actuel du réseau », qui reprend beaucoup de passages
du contrat de la délégation de service public (DSP) qui
lie l’exploitant privé et le gestionnaire public, renoue
avec les approximations gênantes ou les phrases
incompréhensibles. Que m’explique celui qui comprend la
phrase suivante (p. 54) : « Il
y a une rame et six autorails qui parcourent le trajet quotidiennement,
l’autorail qui part de Digne à 7 heures du matin et celui
parti de Nice à 17 heures et qui arrive en soirée
à 20h13 à Digne. »
Suite à cette affirmation au style admirable
(!), la CFSF devient CSSF (Compagnie Sous-marine du Sud de la
France ?), certaines haltes ou gares sont inventées (La
Mésélie, Pont-Saint-Charles ???) ou
réactivées (La Tour sur Tinée, ancienne gare du
tramway située à 10 bornes de la ligne
Nice-Digne…), voire modifiées (les Lunières
devient les Lumières !)… Entre autres, bien
sûr ! Impardonnable, car il s’agissait ici de recopier
bêtement les documents fournis.
Des erreurs littéraires ? Pas seulement.
Apparemment, l’auteur ne sait pas plus compter.
D’après un décompte alambiqué (et
déjà faux !), la ligne comprendrait 20 gares et 28
haltes en activité (xx gares et haltes en réalité)
pour 151 kilomètres de ligne (150 km en réalité).
L’auteur arrive ensuite à diviser 11 trains par 2 et en
arriver à la conclusion qu’il en circule un tous les quart
d’heures par le raisonnement mathématique suivant
(p.57) : « 11 trains circulent le matin dont la
moitié entre 6h25 et 9 heures qui se succèdant [faute
d’orthographe d’origine] à un intervalle moyen
d’1/4 d’heure, les 4 derniers trains de 10h23 à
12h43 dans une plage horaire beaucoup plus large, dépassant la
demi-heure voire l’heure, onze trains circulent
l’après-midi. » En effet, je ne cherche
même plus à comprendre ce qu’il a voulu dire ou
expliquer !
J’arrête là pour ce chapitre, il
y a quasiment une erreur à chaque paragraphe… A signaler,
juste pour la forme, un tableau de « données
financières » au graphique très
fantaisiste !
L’aspect « population et
activités » pourrait être d’une richesse
incroyable pour le développement de ce train. Mais ce chapitre,
de dix malheureuses pages, ne tient pas la distance. Tout ceci commence
par du comique pur : 37 lignes de calculs de savant fou et de
triangulations monstrueuses pour en arriver à la
conclusion : « Elle [la ligne de chemin de fer] occupe
une position centrale sur les deux départements. »
Sans blague ! Une carte de la Région suffit à
s’en rendre compte !
Le second paragraphe frôle le délire
pur : Pour justifier une aire géographique concernée
par ce train de plus d’un demi million de personnes, notre homme
va jusqu’à inclure la vallée de
l’Estéron (ou plus un train ne passe depuis 1928 !)
et le haut Verdon jusqu’à Allos, sans oublier le
déplacement de villages (La Tour passe de la vallée de la
Tinée à celle du Var). Il intègre d’ailleurs
à la ligne, par un miracle non encore élucidé, la
ligne de car qui va de Thorame à Allos (p. 67) :
« Si l’on prend en considération tout le
réseau couvert par la ligne Nice/Digne jusqu’à la
Foux d’Allos, on dépasse les 200 kilomètres
(…) ». Mais bien sûr !!! Pourquoi personne
n’y avait songé jusqu’ici ?!
Heureusement, les données statistiques et de
mouvements de la population (pages 69 à 76) nous ramènent
à la réalité et sont nettement plus
pertinentes… Et pas seulement parce que la Coordination des
Clients des Chemins de fer de Provence est citée !
Anecdote : Les Bus Var mer seront heureux d’apprendre
qu’ils ont été virtuellement intégrés
aux Lignes d’Azur…
LES AMOUREUX DU TRAIN DES PIGNES
En attaquant le
chapitre par la perception cinématographique des transports,
positionnant le train comme seul moyen de transport perçu
positivement au cinéma, l’auteur fait une sélection
très partiale de films pour démontrer une démarche
bancale. Des films catastrophes avec le train existent aussi. Quant
à son affirmation que « des trains pas comme les
autres » ne peut pas s’appliquer aux autres moyens de
transports, elle me laisse profondément perplexe. Il existe une
pléthore de magazines sur les autos, les avions et les bateaux
pas comme les autres, il suffit de se rendre au premier kiosque venu
pour s’en rendre compte.
Ce chapitre mêle un peu tout, des associations
de défense du train aux chansons, des livres aux BD,
frôlant parfois dangereusement le remplissage stérile.
LES RICHESSES DES REGIONS ET L’AVENIR
Le Seignus d'Allos : Un peu raide pour du ski de fond, non ?
Est ainsi décrite la station
de ski de fond de la Colle-Saint-Michel, assortie d’un
commentaire… sur Le Seignus d’Allos ! |
Deux derniers chapitres de cette étude
mouvementée, il ne sont pas les moins intéressants, mais
se trouvent isolé du reste de
« l’étude » pour d’obscures
raisons. Bien entendu, là aussi, nous n’échapperons
aux croustillantes remarques et approximations.
Est ainsi décrite la station de ski de fond de la
Colle-Saint-Michel, assortie d’un commentaire… sur Le
Seignus d’Allos (autre station, de ski nordique cette fois).
On apprend que la station de ski de Praloup a
été déplacée dans le Val d’Allos, et
devient accessible… par navette (montée sans doute sur
skis ?).
Mais on peut aussi sourire avec cette phrase
(p.102) : « Trois mots peuvent résumer cette
puissance de feu : campagne, mer, montagne, auxquels on peut
ajouter rivières et vallées et même ville
(…) ». En effet, on a fait le tour ! je ne dirai
qu’un mot : unique, incontournable, fraise des bois.
Enfin, certaines affirmations douteuses, faites pour
défendre ce train, sont tellement fausses qu’elles le
desservent (p. 103) : « Le train a l’immense
avantage sur la route de ne pas (ou plus) dégager de gaz
carbonique ». Les ingénieurs ferroviaires ont
inventé le moteur diesel sans pot
d’échappement ?
Ouf ! Cet article est fini. Il m’a fallu
deux mois pour faire péniblement la lecture et la critique de
cet ouvrage (qui ne m’a pas été offert
officiellement, mais subtilisé par nos chers VIP).
Décidément, ce pauvre train n’a
pas de chance ! D’une bonne idée à la base, la
Région a réussi à nous offrir un bourbier
littéraire. C’est dommage, rageant, et
impardonnable : Tant d’auteurs régionaux de talent,
de spécialistes de la ligne (je pense évidemment en
premier lieu à José Banaudo) auraient pu, facilement,
rendre cette étude riche et passionnante.
Fort heureusement, cette
« étude » n’est pas
commercialisée, et pour l’obtenir (je sais que
malgré tout, vous en rêvez…), pas d’autre
moyen que d’assister à une réunion ou autre
Comité de Ligne. Une bonne occasion pour se rencontrer !?
William Waechter