Chacun fait son biseness dans son coin...
(Pont de Puget-Théniers)
Autocars départementaux 06 (TAM)
TER Cannes-Grasse
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USINE A GAZ
J'aurais
sans doute pu m'attaquer à la défense de l'élevage
en troupeaux des escargots de Bourgogne. J'y aurais peut-être mis
autant de rigueur, autant de ténacité à tenter de
convaincre le public incrédule du bien-fondé de la cause.
Seulement voilà : Je n'y crois pas une seconde.
J'aurais pu m'attaquer à la défense des
transports en communs dans la Région PACA, voire à la
réorganisation des transports en France. Arguant de la
défense de l'écologie, du réchauffement de la
planète - cause qui trouve plus d'échos en
été qu'en ce mois de mai débutant un peu
fraîchement - et utilisant mon nom comme un étendard,
j'aurais un ralliement plus franc de mes concitoyens. Mais si
cette action me sensibilise réellement, je suis incapable de
traiter le sujet, pour trois raisons.
D'une part, et j'en profite pour faire un hommage succinct à Coluche, "la misère n'est pas de dimension humaine".
Pourquoi parler de misère pour des déplacements dans un
pays riche ? Au train où vont les choses (encore un jeu de
mots facile...), se déplacer avec son véhicule personnel
va devenir un luxe réservé à une caste de
privilégiés. Les autres prendront les transports en
commun, leur vélo, leurs sabots, en fonction de leurs revenus,
et les temps de trajets domicile-travail, si on ne fait pas gaffe,
seront de plus en plus longs. Sans même prendre en compte les
déplacements "de loisir" ou même ceux pour chercher du
boulot, les transports en commun peuvent devenir de grosses
bétaillères à pauvres que nous sommes, alors que
nous baverons devant nos fenêtres crasseuses, debout et
entassés dans un bus, en voyant le riche
privilégié d'une caste inaccessible se pavaner dans son
4x4 gourmand. Bref, si je conçois qu'il faut un autre
avenir à nos enfants que celui-ci, ce combat me dépasse,
en tant qu'unité humaine.
Ensuite, je n'ai qu'une vie. J'essaie de la compartimenter du mieux
possible entre ma vie de famille, mon travail, mes passions, mes
loisirs et ce fichu site, qui a tendance à s'infiltrer dans un
peu tous les domaines cités. Tel un cheval de trait, je me
place des oeillères et me contente de défendre les 150
kilomètres de rails qui croisent mon champ de vision chaque
matin.
Enfin, je ne maîtrise pas le sujet. J'ai déjà mis
deux bonnes années à rassembler les
éléments du puzzle
historico-politico-économique des Chemins de fer de
Provence, je me contente de me documenter consciencieusement mais somme
toute sommairement sur la problématique des transports en
France. Juste assez pour comparer, et rester sur ma bonne file de rails
(encore... Oui, je sais). Je suis toujours sidéré par les
politiques qui arrivent à avoir une opinion sur tout, une
conviction "main sur le coeur" sur la plupart des sujets qui nous
touchent, alors qu'en grattant un peu, ils ne maîtrisent pas leur
sujet. Las, ce monde n'est pas le mien.
Tout ceci pour vous dire - parce que vous allez finir par vous demander
où je veux en venir, et moi aussi - que ce mélange
passion/documentation que je voue à la défense de ce
train me rendent de plus en plus convaincu que cette ligne en
particulier, et les transports en général dans la
Région (voire en France, allez savoir) sont une véritable
usine à gaz.
LE LIVRE MAGIQUE
Usine à gaz pour commencer qu'est la gestion et l'organisation
des Chemins de fer de Provence. D'une part, l'Etat, propriétaire
de la ligne, soucieux depuis près de quarante ans de se
débarrasser de "sa" dernière ligne secondaire
métropolitaine (non gérée par le tandem RFF/SNCF),
l'a refilée avec joie au premier consortium politique venu, j'ai
nommé le SYMA, sans s'inquiéter outre mesure d'une
possible gestion efficace.
Le SYMA est composé de 28 membres d'origine géographique
et politique différentes. De plus, chaque membre a un autre
travail, quelquefois en totale contradiction avec la défense et
l'avenir de ce train. N'importe qui, ayant a peu près un nombre
normal de neurones, verrait tout de suite que cela ne peut pas
fonctionner. Et dans les faits, cela n'a jamais fonctionné. Tout
au plus le SYMA, par son incapacité à décider quoi
que ce soit, a-t-il réussi à éviter la fermeture
de la ligne. Eh oui, même une fermeture, il faut la
décider...
Toujours au chapitre "SYMA", il faut également savoir que
celui-ci dépend, pour le financement, d'un ensemble
d'entités (Région, Départements, villes).
Enfin, pour l'exploitation de la ligne, celle-ci a été
sous-déléguée à un exploitant privé,
la CFSF, sous-entité de Véolia transports, division de
Véolia, ex-Vivendi, ex-Générale des Eaux. Un
contrat de 60 pages, avec plus de 400 pages d'annexes, définit
le rôle de chacun, jusqu'à savoir qui coupe l'herbe
au-delà de l'emprise de 2.50 mètres de chaque côté de
l'axe médian de la voie ferrée. Rien de mauvais en soi,
mais ce contrat ne fait que figer une situation existante ou
déjà décidée en amont.
Tout ce qui ne relève pas de l'entretien pur et simple ou du
fonctionnement, voire tout ce qui est une amélioration, une
rénovation, une modernisation, relève... D'on ne sait qui
?!
DIALOGUE DE SOURDS
L'exploitant exploite, le SYMA gère. Pour le reste, allez voir
ailleurs. Ce qui fait que toute demande, toute suggestion
d'amélioration de la ligne, qui n'est pas inscrite noir sur
blanc dans le livre magique de la DSP - qui, mine de rien, a fait un
planning jusqu'en 2012 ! - ne dépend ni du Syma, ni de la CFSF.
Mais de qui, alors ?
Il faut écrire. Alors chacun écrit. A la
Région, aux Conseils Généraux (06 et 04), à
la DDE, aux Communautés de Communes, ou aux villes, selon le
cas. Les lettres prennent alors deux chemins. Dans la majorité
des cas, la poubelle. Dans les autres cas, une belle réponse
à en-tête contenant - avec quelques mise en formes - la
réponse suivante : " Nous avons lu avec attention votre courrier
/ votre demande est justifiée / nous la transmettons au SYMA".
Retour à la case départ. Rarement, quelqu'un se mouille,
mais que l'on se rassure, cela n'a aucun effet.
L'usine à gaz est parfaitement rôdée. Pensez-vous,
cela fait 30 ans que les Associations d'usagers réclament les
mêmes choses sans succès !
DES JOUJOUS PAR MILLIONS (D'EUROS)
La lumière est au bout du tunnel, semble-t-il. Début
2007, le SYMA sera dissout et fera place à la Région. Un
interlocuteur en remplaçant 28 ? Joie. Donc j'ai creusé,
ces derniers temps, la voie de cet avenir prometteur. Bonne nouvelle,
nous saurons - enfin - à qui adresser nos courriers. Et on peut
espérer qu'il n'y aura plus de réponses du style "c'est
pas moi, c'est lui !" qui sont assez exaspérantes.
Par contre, on ne résoudra pas l'autre usine à gaz, qui
flingue aussi ce train, à savoir les compétences
réservées. Je m'explique. Les villes de Digne et Nice, en
bout de ligne gèrent "leurs" bus (et Nice son futur tramway).
Les départements gèrent "leurs" cars. La Région
gère "ses" cars interdépartementaux et ses TER. Comme
personne ne s'entend, chacun fait son biseness dans son coin, ignorant
superbement les autres.
Cela donne des cars qui partent avant que le train arrive...
(Liaisons Saint-Auban, Aix-TGV, Barcelonnette à Digne,
vallée de la Tinée, vallée de l'Estéron,
vallée de la Vésubie).
Cela donne des arrêts de bus à 500 mètres des gares...
(Nice Place de Gaulle)
Cela donne des lignes de cars qui suivent les lignes de trains, sans valeur ajoutée...
(8 lignes de Lingostière à Plan-du-Var, 1 ligne jusqu'à Entrevaux)
Cela donne des tarifs différents et concurrentiels...
(Alpes-Maritimes et CANCA vs CP et SNCF).
La Région crée une ligne de trains (Cannes-Grasse), le
département contre-attaque avec des cars à 1.30 €
(Cannes-Grasse). La CANCA crée une ligne de bus (ligne 59), le
SYMA améliore les horaires du train (CP), le département
réduit les tarifs des cars (1.30€), la CFSF augmente ceux
du train...
Chacun joue avec "son" jouet, oubliant au passage que les passagers
empruntent plusieurs types de transports pour aller d'un point A
à un point B. Alors, en fonction de leurs décisions
égoïstes, les usagers vont du train (plus rapide) au car
(plus économique), voire alternent, s'embrouillent, cherchent le
bon compromis, alors qu'il serait si simple, plus rapide et plus
économique qu'une bonne fois pour toute, les transports soient
complémentaires, en correspondance, avec un tarif unifié.
Sans folie des grandeurs, car sur le papier, les lignes existent, et
une meilleure organisation permettrait sans doute d'améliorer le
service en supprimant des doublons idiots.
En respectant un principe de base, le train comme colonne
vertébrale (plus rapide, plus sûr, il n'embouteille pas
les routes), le car pour les liaisons transversales et
inaccessibles par voie ferrée (irremplaçable en zone rurale), le bus et le tram pour le maillage urbain.
En attendant, chacun fait joujou en nous prenant pour des imbéciles.
"Ne rigolez pas, c'est avec votre pognon quand même !"
William Waechter
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