Dossier 4 : Les Correspondances |
Création de cette page le 06/11/06 |
Edito Novembre 2006 |
LA BATAILLE DU RAIL

Vendredi
13 octobre 2006, une brève de la CCCP parmi d'autres a
suscité un émoi parmi des Dignois, défenseurs du
train ou non : La SNCF étudie actuellement la suppression du car
qui relie Digne à Saint-Auban. Cette nouvelle est
malheureusement archi confirmée. Ironie du sort, cette
étude serait pilotée par un des membres du Conseil
Régional, Monsieur Castaner, accessoirement maire de
Forcalquier. Va-t-on assister à une bataille interne au sein
même de la Région, entre les partisans de la transversale
ferroviaire Nice-Grenoble-Lyon-Genève et les opposants aux
moyens de transports collectifs non rentables ?
Au fait, vous savez comment on rend un moyen de transport non rentable ?
Voici le mode d'emploi. Bienvenue dans le monde hypocrite des transports français.
1 - LE RAIL COUTE CHER
Contrairement
à une ligne de car, le problème avec une ligne de chemin
de fer est qu'elle se voit comme le nez au milieu de la figure.
Supprimez la ligne de car de Digne à Saint-Auban, par exemple,
vous laisserez toujours la route: Il y aura bien quelques
râleurs, mais comme le travail de destruction a été
commencé depuis de longues années, les seuls opposants
seront ceux qui
empruntent encore cette ligne. Supprimez une ligne de chemin de fer,
par contre, cela soulèvera l'indignation de toute une
population, car c'est toute l'infrastructure qu'il faut démolir.
Les français ont beau avoir la mauvaise réputation de
râler stérilement et trop tard, le risque
d'impopularité est trop grand pour que s'y risque un
décideur sans avoir préparé le terrain bien
longtemps en amont.
La
première précaution à prendre est de s'attirer la
sympathie de la population. Par exemple, en ancrant profondément
dans la mémoire collective que le rail coûte cher, bien
plus cher qu'une ligne de car, par exemple. En effet, une ligne de
chemin de fer, secondaire qui plus est, ne peut pas être
rentable. Un car, curieusement, si. Renseignez-vous autour de vous, la quasi
totalité de la population en est convaincue. Alors que
mathématiquement, un car consomme plus d'essence qu'un train
(ratio par passager transporté), a besoin d'un chauffeur comme
pour un train, et, s'il coûte moins cher à l'achat, a une
durée de vie bien moindre (10 ans contre 30 à 40 ans
pour un train), donc revient tout aussi cher à la fabrication.
Alors
quel est ce calcul bizarre? Très simple. Pour le transport
routier, on "oublie" simplement un tout petit paramètre: le
coût de l'infrastructure. Le passager du train paie (dans son
billet) la voie sur laquelle il roule, tout en payant (dans ses
impôts) la route qui longe la voie. Le passager du car, lui, ne
paie dans le prix du billet que le transport, pas l'entretien de la
route.
Normal
me direz-vous, puisque le rail est "propriétaire": Voici
l'argument maître des opposants au train. J'ai lu maintes fois
cet argument:
"Il est normal que l'entretien de la voie de chemin de fer soit imputée
à la SNCF (ou aux CP), puisque la Compagnie à
l'exclusivité du transport".
En effet, il me parait difficile d'emprunter la voie avec une voiture
personnelle, donc l'argument se tient... Uniquement si on raisonne en
terme de transporteur, et non de transporté.
Si l'on considère que c'est le passager qui paie
l'infrastructure et non la SNCF (ou les CP), ce raisonnement
s'effondre. Un client (usager ou fret) qui emprunte une voie
ferrée fait un libre choix, sauf qu'on l'oblige a continuer
à payer une route qu'il n'emprunte plus. Dans ce cas, il
serait logique qu'il
y ait un remboursement, dans le prix du billet, de la route non
empruntée. Et on remettrait les pendules à l'heure.
Anormal
me direz-vous, puisque la route est "partagée". La route est
payée par nos impôts, solidairement, car elle est
partagée par les transports collectifs et les véhicules
particuliers. D'accord. Je vais être bon Prince et ne pas
étaler le nombre de "voies réservées aux bus" qui
sont pourtant aussi payées par les impôts, bien que "non
partagées". Ni parler du cas des autoroutes à
péages où les cars, payant leur infrastructures, se
retrouvent comme par hasard plus du tout "rentables" et sont
supprimés (la liaison Nice-Toulon, prochainement).
Concentrons-nous sur les routes mixtes. Rappelez-moi
la largeur d'une route partagée? Sa hauteur limite? 6
mètres, 4m30. Vous pensez que vous avez besoin d'une route aussi
large et aussi haute pour faire passer votre véhicule personnel?
Il y a donc bien un "coût" spécifique aux passages des
transports collectifs et de fret. Et ce coût est loin
d'être négligeable. Largeur et renforcement des ponts,
hauteur des tunnels, élargissement des voies, élagage,
réfection à intervalles courts d'une chaussée
défoncée par les poids lourds, rectification des courbes
serrées, et, surtout en montagne, des travaux titanesques pour
"casser" la montagne afin que le haut gabarit des véhicules
lourds puisse emprunter la voie. Pour vous donner une idée du
prix, la rectification du pont des batteries, dans la vallée de
la Tinée, destiné à mieux faire passer les poids
lourds, coûte 6 millions d'euros pour 400 mètres de long.
Un coût énorme, qui passe (presque) inaperçu car
payé
par la collectivité... Alors que le stupide passager du train,
lui, paie presque tout dans son billet.
Soit,
continuons à croire que le train coûte cher, puisque le
passager n'arrive pas à payer seul la facture, et que
l'état, dans sa grande mansuétude d'hypocrite,
"subventionne" à regret ce transport par fer. Au lendemain des
guerres, nombre de lignes secondaires, parfois très
fréquentées ont été fermées sur ce
seul argument. Pour exemple, la ligne des Chemins de fer de Provence de
Toulon à Saint-Raphaël fut fermée en pleine gloire,
et des convois de huit à dix autocars étaient parfois
à peine suffisants pour absorber le flux de passagers au
départ de Toulon!
Mais aujourd'hui, un autre argument, écologique celui-là,
perturbe les plans des opposants au train. Si un transport ferré
est énergétiquement économique, on peut
difficilement continuer à dire qu'il "coûte cher". Il faut
donc passer à l'étape 2.
2 - REDUIRE LA FREQUENTATION
Le problème, ici, est que la méthode pour y arriver est terriblement coûteuse.
Comme les Chemins de fer de Provence sont victimes
plus que n'importe quelle autre ligne de chemin de fer de cette "politique de
sape", nous le prendrons comme exemple.
La première
mesure est de supprimer physiquement toute correspondance. Si une ligne va d'un
point "A" à un point "B", il y a forcément d'autres
lignes qui partent de ces points "A" et "B" vers d'autres directions.
Cette première mesure a eu raison de la ligne des Chemins de fer
de Provence "Nice-Meyrargues" (sans oublier l'aide d'un commando
allemand pendant la guerre qui a fait sauter quelques ponts):
Suppression de la correspondance à Draguignan (Ligne SNCF Les Arcs - Draguignan), suppression de la correspondance
à Grasse (Ligne SNCF Cannes-Grasse), suppression des tramways
satellites des CP (Grasse, Cagnes...). Sur notre ligne survivante, nous
ne manquerons pas de noter la suppression de la ligne ferrée
Digne - St-Auban (et bientôt le car?), et à Nice, le recul
du terminus pour l'isoler des transports niçois (futur tramway
inclus).
A cette
mesure physique il faut bien entendu ajouter les horaires
nécessairement incohérents, interdisant aux passagers en
transit d'utiliser les transports collectifs. Obliger les gens à
passer une nuit à Digne pour aller de Barcelonnette à
Nice, par exemple...
Si
cela ne suffit pas, la seconde mesure à prendre est de
doubler la ligne de chemins de fer par une ligne de car. Et si une
ligne ne suffit pas, on en met sept, comme à Nice! Afin
d'inciter les gens à quitter ce transport ferré que l'on
ne saurait voir, il faut bien sûr accompagner l'offre d'un tarif
qui vaudrait un procès à n'importe quelle entreprise
normale, à savoir la "vente à perte". Dans les
Alpes-Maritimes, on a institué un tarif à 1.30€ pour
tous les transports collectifs, toutes destinations... Sauf pour le train, bien
sûr. Ne pas oublier non plus de concurrencer de vieux trains par
des cars ultra-modernes, cela va sans dire.
L'enfer
est toujours pavé de bonnes intentions: Les lignes de cars ont
été officiellement instaurées pour qu'il y ait
moins de voitures sur la route. Mais je l'ai déjà dit, et
cela se vérifie aujourd'hui, ceux qui aujourd'hui sont les
passagers du car étaient hier les passagers du train. Car si
l'on peut concevoir de passer de sa voiture personnelle au train (et
éviter ainsi les embouteillages aux entrées des villes),
il est difficilement concevable de passer du confort de sa voiture
à celui, tout relatif, du bus, pour continuer à subir les
mêmes embouteillages... Et ceci, nos décideurs le savent
parfaitement.
Il
ne reste plus qu'à appliquer la troisième mesure,
à savoir supprimer des trains, puisqu'il y a moins de passagers
dedans. La spirale de la fermeture est engagée. Et le jour
fatidique, il sera trop tard pour avoir des regrets. Sur la ligne
Nice-Digne, le combat de la "Coordination" et des autres associations
est, à chaque nouvelle grille horaire, à ce niveau: Se
battre pied à pied pour conserver les rotations, en se basant
d'abord sur le potentiel de fréquentation. Garder, pour notre
ligne, des horaires "en heures de pointe", "en correspondance", est une
nécessité vitale pour une ligne. Aucune association n'a
malheureusement assez de poids pour infléchir sur les tarifs du
train, encore moins pour modifier les itinéraires des cars. Pour
l'instant.
ET ALORS ?
La
bataille du rail a été perdue pour beaucoup de lignes
secondaires, et pourrait l'être pour d'autres encore. Mais la
ligne des Chemins de fer de Provence a le potentiel pour gagner cette
guerre. Malgré toutes ces mesures, elle conserve ses
fidèles. Des mauvais coups comme cette "étude pour la
fermeture de la ligne de car Digne - St-Auban", il y en a eu, il y en
aura d'autres. Nos décideurs font de beaux discours sur la
nécessité du rail (c'est écologiquement vendeur),
mais dans le concret, les lobbies routiers sont incroyablement
puissants.
De notre côté, nous mettons aujourd'hui tout notre poids... Pour défendre une ligne de car ! Etonnant, non ?
William Waechter