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Article Mise à jour de cette page le 08/01/07 Connaissance 
COUP DE GUEULE William WAECHTER, avec l'aide technique de Fabrice HESPERT

LA MORT DU NICE-GRENOBLE : UN SCANDALE INTERREGIONAL

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LA DIAGONALE DU FOU

Je vais vous raconter un peu ma vie... Chaque année en janvier, ma femme et moi montons à Lyon pour un repas d'anniversaire dans sa famille.  Chaque année, j'hésite entre la voiture et le train. Et chaque année, j'hésite entre le trajet par la vallée du Rhône ou les Alpes. Le premier est plus rapide, le second est plus court (que ce soit en voiture ou en train...). L'augmentation du prix de l'essence, les péages, l'usure de la voiture, et la route des Alpes beaucoup moins sympathique en janvier qu'en août me font généralement choisir le train. Et tant qu'à faire d'être une semaine en vacances, je profite du paysage dès le départ en optant pour la ligne des Alpes. De chez moi, le temps de parcours n'est pas beaucoup plus long que de passer par Nice et Marseille, même avec le TGV. Ce qui est rédhibitoire, par contre, est le temps d'attente entre les correspondances. Il s'agit, chaque année, de faire un savant calcul pour optimiser les temps morts (Digne, Veynes, Grenoble) autant que possible.
Chaque année, c'est un peu plus difficile. Mais cette année, c'est du grand n'importe quoi ! On a tué le Nice-Grenoble ! Nos décideurs ont réussi, par étapes successives, a enterrer l'Alpazur. Cette fois-ci, c'est pour de bon.

Trois époques de l'Alpazur (correspondance SNCF-CP à Digne)
(photos extraites du livre "le siècle du Train des Pignes" de José Banaudo)
Autorail X-4200 (panoramique) et Raenault "Alpes-Azur" ZZ-21 ou 22 en 1965 Rame RGP X-2700 et autorails CFD rénovés en 1982 RGP X-2700 modernisée et Rame Soulé X-351 en 1988


Souvenez-vous : L'Alpazur, c'est le nom qui avait été donné à la liaison Genève-Nice, puis Grenoble-Nice. Plus simplement, c'est l'histoire d'une transversale ferroviaire, évidente sur une carte de France, entre Lyon ou Genève, et Nice, via Grenoble, permettant d'économiser de 100 à 220 kilomètres de rails, de relier plusieurs (très) grandes villes en mettant de côté sa voiture, de traverser les Alpes sans danger, de manière économique, sans stress, en ayant en prime la bonne conscience de faire un petit geste pour la planète sans grand effort... Bref, à la portée de tous.

Une liaison avant tout destinée à ceux qui privilégient l'économie et la beauté des paysages au temps de parcours, sans non plus tomber dans des temps de trajet très longs. Bref, une liaison convenant parfaitement à ceux qui partent en vacances et qui souhaitent les commencer dès le départ.

Dans les années 1970 et 1980, cette liaison existait. Elle représentait jusqu'à 20% du trafic des Chemins de fer de Provence sur la ligne Nice-Digne. Dès lors, la SNCF n'a eu de cesse de saborder cette liaison. Horaires farfelus, liaisons inexistantes,  suppression des correspondances... Pour finir par supprimer un tronçon ferroviaire et remplacer le Digne-St-Auban par un autocar. On connaît la musique pour rendre artificiellement "non rentables" des lignes de chemin de fer secondaires. Mais on les pardonne. Ces années-là, le rail n'avait pas la cote, l'essence n'était pas chère, et la voiture beaucoup plus pratique.

Aujourd'hui, la voiture est toujours plus pratique, mais elle commence à devenir un gouffre financier doublé d'une source de pollution qui interpelle de plus en plus les français. Alors on cherche une alternative... Qui n'existe que dans les belles paroles de décideurs qui ne prennent le train qu'entourés de caméras de télévision.
Jusque là, il était encore possible, pour peu d'avoir une forte fibre ferroviaire, de relier Nice à Lyon via Grenoble.  Ou simplement d'apprécier, pour un conducteur, de laisser sa voiture de côté et se laisser aller à contempler les paysages et profiter des haltes imposées pour faire un peu de tourisme.

Pas la peine de chercher bien loin pour s'apercevoir que notre "Alpazur" n'est plus qu'un lointain souvenir. Mais de là à rendre la liaison Nice-Grenoble impossible, il y avait tout de même un pas que la SNCF, les CP, la Région PACA et la Région Rhône-Alpes (je vous fais un paquet cadeau ?) ont franchi allègrement le 10 décembre 2006.


PLACE AUX CHIFFRES... ACCABLANTS

Le modeste tableau ci-contre est la preuve, s'il en est besoin, que tout a été fait pour saborder très officiellement la liaison Nice-Grenoble, axe essentiel pour relier la capitale azuréenne en ligne directe à Lyon et Genève. Nous retiendrons trois dates :

1983 : Ce n'est pas la meilleure année de l'Alpazur, en temps de parcours, mais nous l'avons en archives. Les temps de parcours étaient à peine plus longs (quelques minutes) il y a 23 ans. Mais la liaison était presque directe (un seul changement à Digne).

2005 : Il y a une légère dégradation, à contresens de l'évolution normale des temps de transports, dûe essentiellement à une double correspondance, et aux mauvais état des voies.

2007 : On frôle l'absurdité totale. Aberrations de non-correspondances, autant à Digne qu'à Veynes, font que ce parcours est impossible à faire, sauf à être un maniaque du train.
Exemples d'horaires optimisés (?) pour un départ de Nice le matin
Nice-Digne Digne-Veynes Veynes-Grenoble
Distance 150 200
1983 Horaires 8h20-11h51 12h05 -- 15h24
Durée 7h04
2005 Horaires 9h00-12h12 12h25-14h15 14h34-16h29
Durée 7h29
2007 Horaires 6h25-9h50 12h15-13h52 14h29-16h26
Durée 10h01

MAUVAISE ENTENTE OU VOLONTE DELIBEREE DE NUIRE ?

Dans ce cas précis, on est en droit de se poser légitimement la question.
On peut aussi se demander si la SNCF a légalement le droit, sur ses sites internet, de pratiquer de la désinformation délibérée pour empêcher les usagers d'emprunter ses lignes secondaires.

Un exemple que vous pouvez vérifier vous-mêmes :
Sur le site "Voyages-SNCF" , recherchez un voyage de DIGNE à VEYNES. Pour ma part, j'ai demandé le départ le 18 janvier. Le résultat est le suivant :
Autocar 49036; départ : 12h15 / arrivée : 13h52
Répétez maintenant exactement la même opération sur le site "TER SNCF" et vous serez surpris des résultats!

Non seulement le site ne propose pas l'autocar de 12h15 qui lui est inconnu, mais il propose des voyages totalement surréalistes avec des correspondances à Manosque, dont un itinéraire totalisant 5h06!

Rappelons que le trajet "Digne-Veynes" fait 93 kilomètres...
Ce qui nous fait une moyenne, pour l'option N°2, de 18 kilomètres/heure. Autant y aller à vélo!

Au chapitre "volonté délibérée de nuire", on peut aussi noter ceci.
Arrivée du train 3 des Chemins de fer de Provence à Digne à 12h16.
Départ de la "correspondance" par car à 12h15.

Double volonté de nuire, parce que ce car, qui part une minute avant l'arrivée du train, arrive à Veynes à 13h52, alors que la correspondance à Veynes est à 14h12 dans le meilleur des cas (le samedi); cet autocar partait à 12h25 avant les horaires d'hiver...

Celle-ci, non plus, n'est pas mal. On ne peut pourtant pas accuser dans ce cas une mauvaise entente entre les CP et la SNCF, puisque l'affaire se passe entre deux TER de la SNCF à Veynes.
Arrivée du train de Marseille (TER PACA) à Veynes à 16h58.
Départ du train pour Grenoble (TER Rhône-Alpes) à 16h57...

QUE VA-T-IL SE PASSER ?

Je sais que certains de nos décideurs lisent en cachette les articles de la CCCP. La question est de savoir ce qui va se passer maintenant...
L'autocar (le seul qui reste) qui fait Digne-Veynes peut être décalé de quelques minutes. C'est tout à fait faisable. Il n'en est pas de même pour les trains. Les horaires sont figés jusqu'aux horaires d'été pour la SNCF et pendant un an pour les CP.

Aurons-nous droit à des horaires plus cohérents ?
Ou bien, dans quelques années, la bouche en coeur, nos décideurs supprimeront cette ligne en nous jetant des chiffres, réels mais manipulés, de "non-fréquentation" et de "non-rentabilité"?

Nous sommes légitimement en droit de nous le demander. Pendant ce temps, on nous martèle la tête avec le réchauffement de la planète, la pollution, et une démarche citoyenne qu'il faudrait avoir. Avec quels moyens?

Pour en terminer avec ma vie personnelle et mon voyage du 18 janvier, j'irai donc en voiture jusqu'à Saint-Auban, puis en train (9h15) à partir de cette gare jusqu'à Grenoble, puis Lyon. Car l'ironie du sort est que nous devons passer par Grenoble cette année. Merci de m'indiquer à quel ministère ou préfecture je dois envoyer la facture énergétique de mon voyage forcé en voiture de 143 kilomètres...pour pouvoir prendre le train!